Rencontre avec Eric-Emmanuel Schmitt!

En faisant un tour au festival Off d'Avignon hier (10 juillet 2012), Alex et moi avons eu la chance de rencontrer Eric-Emmanuel Schmitt .

Ce fut vraiment une superbe rencontre, dans un cadre très agréable (une belle cour ombragée de l'Espace Rozeau dans lequel plusieurs de ses pièces sont jouées). 
Pendant près d'une heure et demie, il nous a parlé de ses oeuvres mais surtout de lui, en nous expliquant sa conception de l'écriture, de la vie.
Comme promis à Nathchoco qui organise le challenge Eric Emmanuel Schmitt grâce auquel j'ai découvert cet auteur, voici l'essentiel de cette rencontre! (Sans les rires qui ponctuaient tous ses bons mots!!!)


Le 9 juin vous avez été élu à l'académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Qu'est-ce que ça vous fait?

Il y a quelque chose de merveilleux à l'académie royale, c'est qu'on ne postule pas. C'est tout d'un coup l'Académie qui décide de vous choisir. J'ai l'honneur d'être au siège 33 qui a vu des fesses illustres: Anna de Noailles, Colette, Jean Cocteau et Hubert Nyssen. Si le fauteuil s'attrappe par l'arrière train, vous allez voir les romans que je vais vous pondre!

Vous êtes un vrai bourreau de travail!

Je ne suis le bourreau de personne, même pas de moi même! J'avais organisé ma vie en pensant qu'on ne pouvait pas passer sa vie à écrire. J'avais organisé ma vie pour être un écrivain du dimanche.
Mais dès que j'ai commencé à écrire, j'ai été rattrapé par le succès et je suis devenu un écrivain de la semaine et un lecteur du dimanche!
En fait, je n'écris que quelques semaines par an mais avec une grande intensité. Je ne connais pas la page blanche. Je la nourris de voyages, de rencontres et quand c'est prêt, je me mets à écrire.
J'ai été diagnostiqué écrivain très vite. Moi je ne pensais pas être écrivain parce que beaucoup trop de choses m'intéressaient. Ce sont les autres qui m'ont diagnostiqué. J'ai tout de suite gagné ma vie avec ma plume. Je suis fait pour ça.

Le cycle de l'invisible est composé de six romans qui parlent globalement  chacun d'une religion. Qu'est-ce qui vous pousse à aller à la recherche de cette spiritualité?

J'ai appelé cet ensemble le cycle de l'invisible parce que nos vies sont autant faites de visible que d'invisible. Tous nous donnons du sens à la vie, à la mort, à l'amour, aux rencontres, aux évènements. Nous doublons le visible en lui donnant un sens.
Ce cycle, c'est un regard encyclopédique et léger sur ce qui fait vibrer le coeur des hommes.
J'ai écrit le premier ouvrage Milarepa à la demande d'un ami. Lors d'un entretien en Suisse, on m'a posé la question: "Vous êtes bouddhiste?" et quand j'ai répondu non, on m'a demandé "mais pourquoi alors écrire sur cette religion?" C'est là que j'ai eu l'illumination. Ce livre en cachait d'autres. On peut parler avec respect et intérêt d'une religion même si ce n'est pas la notre. C'est un regard humaniste. D'emblée, je suis prêt à un voyage pour découvrir les trésors qu'elle renferme. Parler des religions, c'est parler des hommes. Jamais il ne s'agit de convaincre. il s'agit de témoigner et de s'intéresser.
On est tous frères en ignorance, croyants comme athées. Croire ce n'est pas savoir.


Est-ce que votre choix est proche du pari Pascalien?


Il revient très souvent! Après avoir vécu une expérience mystique il voulait démontrer avec les probabilités l'intérêt pour chacun de vivre dans la foi.
Tout n'est pas raison, ma démarche est plus sensible. Ce qui compte c'est qu'on puisse se réunir sur cette vie, qu'on essaye de l'aimer. Cet impossible là me plait beaucoup. La pièce petits crimes conjugaux, elle aussi ne parle que de ça. Il y a un moment où un couple, ça cesse d'être agréable. Alors il faut se demander à quoi on croit. Est-ce que l'amour tombe tout seul, et quand il n'est plus là il n'y a plus rien? Ou est ce que l'amour commence quand la passion finit? L'amour, c'est précis, chirurgical. L'amour, on doit le faire exister et cela me passionne. Dans le couple. Dans la vie.


Mais Dieu est complètement absent de ces romans!


Oui, peut-être un peu moins dans Oscar et la dame rose car il est plus proche de mes croyances. Les religions sont des histoires d'hommes. Dieu est au dessus des religions. Ce ne sont que des corridors vers un mystère. Aujourd'hui elles apparaissent comme effrayantes mais elles sont humanisantes. Il n'y en a pas une qui ne chercher à créer du lien, de l'entente, de la paix. C'est pour ça que même pour les non croyants elles sont intéressantes. Bien sûr, elles ont aussi, et elles ont toujours eu, leurs aspects destructeurs car elles sont ce que les hommes en font.


Vos textes font preuve de beaucoup de simplicité (et pas de simplisme), c'est important pour vous?

Merci de faire la distinction! Le simplisme, c'est l'ignorance des difficultés. La simplicité ce sont les difficultés résolues! Et cela fait partie de ma charte littéraire! Je vais vous raconter une anecdote: quand j'était en prépa, on était bizuté en première année. On a eu un faux cours de philo par un dernière année. Je connaissais le texte " Nietsche et les figures de la Méduse" et j'avais deviné qu'il s'agissait d'un gag, mais à la pause, un camarade vient vers moi et me dit "J'ai rien compris, c'était génial!". 
Le génie, le talent doivent être accessible. On est dans une époque qui aime la fumée et l'ennui! Pour moi, c'est l'escroquerie absolue! 
Un mythe, qu'est-ce que c'est? C'est un récit qui fait sens. C'est ce qui m'intéresse.


J'ai toujours été un écrivain spontané. Je n'avais aucune difficulté à laisser aller mon imaginaire. J'ai écrit très tôt mon premier roman et ma première pièce. Mais quand je me suis passionné pour la philo, je n'ai pas réussi à faire cohabiter le rationnel et l'imaginaire. Mes deux hémisphères ne réussissaient pas à travailler ensemble. Entre 20 et 30 ans, ça a été un combat terrible. Puis ça s'est unifié, il y a eu un équilibre et j'ai réussi à user de la fantaisie tout en tenant un propos!

Est-ce que vous vivez cet acte d'écrire comme une nécessité ou est-ce qu'il a une autre dimension, avec un acte didactique?

Oui, ça fait partie du mouvement, on connait tous ça: quand on découvre quelque chose de beau ou d'intéressant, on a envie de le faire connaître, de le partager.
C'est avec cette démarche que j'ai écrit mes livres su Mozart et sur Beethoven. En écoutant Mozart, on ne peut pas ne pas être triste mais on peut aimer cette tristesse. 
Il s'agit de ressentir intensément les choses en y mettant de l'ordre. Partager une expérience humaine pour arriver à mieux vivre. C'est ce que j'ai essayé de faire les quatre-cinq ans où j'ai été prof de philo: donner des concepts pour être libre.

Dans les différents genres que vous avez abordés, qu'est-ce qui est le plus efficace, le plus naturel?

Moi, j'obéis quand une idée me vient. Je n'ai pas l'impression d'être un créateur mais plutôt le serviteur des idées qui me viennent. il n'y a pas de genre qui me plait plus qu'un autre. Je suis un transsexuel de l'écriture, un transgenre! En plus, le plus souvent les écrivains se trompent sur ce qu'ils pensent être leur genre. Voltaire pensait être un grand poète et un homme de théatre. Heureusement qu'il a écrit quelques contes et lettres car c'est ce qu'il nous reste de lui aujourd'hui!
Je suis un peu comme un arbre. Les oiseaux s'y posent, ce sont les idées. Et certaines font leur nid. Alors je me mets à écrire.

Les enfants ont une place importante dans vos livres. Pourquoi est-ce nécessaire de passer par les enfants?


Pour moi, ce sont des philosophes spontanés car ils s'étonnent, posent des questions. La première qualité du philosophe, c'est l'étonnement, et c'est la première vertu des enfants. L'émerveillement est aussi un sentiment essentiel. Les enfants sont sans culture, ils réfléchissent avec leur raison. Les adultes oublient qu'ils ont été aussi intelligents.
Ce sont des héros philosophiques par excellence qui vivent des évènements dramatiques, traversent des situations très difficiles mais avec cette rigueur de l'enfance. Ils veulent savoir "Pourquoi? Ne me raconte pas de bêtises."
Quand j'avais 20 ans, je montrais que j'étais cultivé. Maintenant, j'essaye de le cacher, et je le fais tellement bien que parfois...
L'enfance, c'est un soucis de vieux: c'est quand on l'a perdue qu'on essaye de la retrouver. Il s'agit d'essayer de garder ce qu'il y a de fort, cet étonnement. L'humilité. L'enfant sait qu'il ne sait pas. Et puis le sens de l'émerveillement... On est ridicule qu'aux yeux des gens qui pensent qu'on est ridicule, alors tant pis!
C'est ce message qu'il y a dans Oscar et la dame rose: vivre chaque jour comme si c'était le premier. Tolstoï dit " vivre chaque jour comme si c'était le dernier" c'est du pathos. Ici c'est de l'émerveillement.
On croit au pouvoir de l'imagination pour enrichir une vie, pas pour la fuir : il s'agit de voir et de vivre encore plus de choses.


Ca a été une merveilleuse surprise pour moi qu'Oscar ait été aimé. J'étais sûr qu'il n'aurait pas de succès à cause du sujet tabou.
Je me souviens que pour la première fois j'ai eu un enfant de dix ans qui est venu me demander une dédicace. J'étais tout ému. Il m'a dit qu'il avait beaucoup aimé ce livre et qu'il voulait que je lui signe. Je lui ai demandé pourquoi il avait lu ce livre. Il m'a répondu: "J'ai vu sur la couverture que c'est l'histoire d'un enfant qui a dix ans, qui est malade et qui va mourir. Ca m'intéresse." J'étais touché par cet aveu et je me demandais ce qu'il signifiait. Est-il malade? Ne l'est-il pas mais a-t-il besoin de mettre des mots? Je me suis alors tourné vers sa mère et lui ai demandé si elle l'avait lu. Elle me dit que non alors je lui ai demandé pourquoi. "J'ai vu sur la couverture que c'est l'histoire d'un petit garçon qui a dix ans, qui est malade et qui va mourir!" J'avais devant moi les héros de mon livre. Cet enfant qui a besoin de parler, ces parents qui n'en sont pas capables.

Les dix enfants que Madame Ming n'a jamais eus s'inscrit de manière originale dans le cycle...

Oui, il ne s'agit pas vraiment d'une religion mais d'une sagesse. Il y a du vrai Confucius, du faux Confucius, du Schmitt-Conficius du Confucius-Ming... C'est une porte d'accès pour cet européen vers la philosophie d'un monde chinois, une morale chinoise qui a des choses à nous dire.
On connait l'idée du juste milieu car à la même époque Aristote l'apportait en Europe mais il y a aussi des choses moins banales comme le statut de la vérité.  Il n'y a pas là-bas cette notion du mensonge comme dans le judéo christianisme. Le plus important, c'est l'harmonie. La faute existe, mais pas le pécher. La cohésion sociale est plus importante que la vérité.
Entre l'obsession de la vérité outre atlantique et cette harmonie en Asie, moi, européen, je me sens vraiment entre les deux. La vérité n'est pas forcément bonne à dire telle quelle, mais j'ai envie de travailler pour qu'un jour la personne puisse l'entendre. Le tact passe avant la vérité!

Vous êtes l'auteur contemporain francophone le plus joué dans le monde, vous avez acheté le théâtre Rive Gauche et le théâtre Edgar, pourquoi?

Pour y faire ce que je veux, tout simplement!
Aujourd'hui, Monsieur Ibrahim est rejoué là-bas et il va y avoir une création mondiale qui parle du journal d'Anne Franck. Il y a trois ans, des hollandais ont fait une audition en allant à la rencontre de dramaturges. Je ne le savais pas sinon, je ne l'aurais certainement pas fait, mais ils m'ont demandé quel pourrait être mon projet. Je leur ai parlé de ce que ferais et ils ont aimé ce projet. Finalement il sera joué d'abord à Paris. Il s'agit d'une histoire d'amour entre un père et sa fille. Le combat d'Otto, car l'histoire se déroule aussi après l'écriture du journal, pour réaliser la volonté de sa fille et publier son journal. C'est Francis Huster qui jouera le rôle d'Otto.



J'ai osé poser une question: "J'ai eu la chance de voir jouer Monsieur Ibrahim dans votre théâtre récemment et je sais que vous avez joué vous-même quelques représentations. Etait-ce pour le plaisir d'être sur scène?"


En fait, Francis Lalanne ne pouvait pas d'emblée faire ces neuf dates. En rigolant on m'a dit que je n'avais qu'à le faire car je connaissais le texte. Ca c'est fait comme ça! Ca a été incroyablement difficile d'apprendre le texte par coeur, et je n'ai eu que six répétitions! Le dernier soir, j'ai pris du plaisir! Vous aurez remarqué que je n'ai pas le même coiffeur que Lalanne, ni la même agilité, et la mise en scène était faite pour lui!
Les gens qui ont vu les deux m'ont dit qu'avec lui ils voyaient vraiment bien Momo, avec moi, c'était Monsieur Ibrahim! Comme j'ai écrit ce personnage en pensant à mon grand-père, c'était extrêmement poignant de le faire revivre à chaque fois. Je ne suis pas du tout un acteur, et je ne peux guère faire que des textes de moi!




Nous sommes ensuite allés le voir pour faire dédicacer deux livres. J'ai pu le remercier de ce qu'il apportait avec ses livres, son engagement, comme dans la part de l'autre, et la justesse de ses mots, toujours.
On a décidé de ne pas aller au théâtre juste après, il nous fallait profiter encore de ces deux heures incroyables!!
Le soir-même nous avons réservé deux places pour la première du journal d'Anne Franck au théâtre Rive Gauche le 12 septembre!!!


Commentaires

  1. Oh mon dieu, la chance !!
    Cet interview est franchement super intéressant.
    On pourra voir les dédicaces ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci!! oui tu as raison, je vais rajouter les dédicaces!

      Supprimer
  2. De même, la chance ! Une bonne expérience j'imagine ! :)

    Et pareil , il faudra absolument que je lise 1984, je ne pense pas être déçue ! :)

    Bonne soirée

    RépondreSupprimer
  3. J'adooooore la chemise!! hihi! Je retrouve les mêmes sujets que lors de sa venur chez nous, sa simplicité et la bienveillance qui se dégage de ses propos. Belle rencontre ;) Merci pour ce billet

    RépondreSupprimer
  4. Vashta Nerada

    Ca devait être une belle rencontre!!!
    En tout cas belle interview!!^^

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci! Oui une superbe rencontre... bon pas en tête à tête mais ambiance très conviviale et décontractée!!!

      Supprimer
  5. Bonjour! j'arrive sur ce blog via facebook.
    Quelle chance d'avoir pu le rencontrer et l'interviewer. J'ai lu plusieurs livres de lui et je les ai tous adorés.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Moi aussi! Je l'ai découvert récemment et je ne m'en lasse pas!!!
      (Par fb???? tu es passée par où pr arriver jusqu'à moi???)

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Les commentaires sont maintenant modérés, on ne peut donc pas les visualiser instantanément, mais si vous avez bien appuyé sur PUBLIER, votre message apparaitra très prochainement!
Merci pour votre passage par ici !